Pourquoi une entreprise qui “faisait entendre des voix en Iran et en Égypte en fait taire d’autres ici??” L’éditorialiste conservateur américain Glenn Beck posait récemment cette question dans un billet (publié sur Facebook, bien sûr). Le 18?mai, en compagnie d’autres conservateurs, il a rencontré Mark Zuckerberg, le patron du réseau social le plus populaire du monde, pour discuter des accusations selon lesquelles Facebook aurait bloqué l’affichage de sujets conservateurs sur sa plateforme. M.?Zuckerberg nie la partialité. Le sénateur républicain John Thune a demandé à Facebook de fournir plus d’informations sur le classement des sujets et des messages pour la journée du 24?mai. Cette inquiétude sur un parti pris libéral de Facebook reflète la vieille méfiance entre les conservateurs et la Silicon Valley, plutôt démocrate. Elle est exagérée. La censure présumée concerne une fonctionnalité de la version de Facebook pour ordinateur appelée “Sujets tendances”, mis en forme et sélectionnés par des employés. Elle ne s’applique pas au flux personnalisé central, sur lequel les utilisateurs passent la plupart de leur temps et où le contenu est choisi par des algorithmes. La priorité du réseau social est d’amener les gens à passer le plus de temps possible sur Facebook, ce qui signifie leur montrer le contenu le plus pertinent pour eux. Plus les gens passent de temps sur le réseau, plus Facebook vend d’annonces. Il n’a aucun intérêt à s’aliéner ses utilisateurs américains conservateurs. “Cette inquiétude sur un parti pris libéral de Facebook reflète la vieille méfiance entre les conservateurs et la Silicon Valley, plutôt démocrate. Elle est exagérée” Pourtant, ce tollé met en évidence un fait incontestable?: Facebook est un mastodonte dont l’influence politique ne cesse de croître. Le réseau social compte 1,6?milliard d’utilisateurs mensuels, dont 200?millions en Amérique. Les Américains passent en moyenne 30?% de leur temps d’Internet mobile sur les applications Facebook, dont Instagram et WhatsApp. Environ 90?% des utilisateurs américains adultes de Facebook y passent l’équivalent de deux journées de travail par mois. Facebook n’est plus seulement un lieu de socialisation virtuelle, mais une entreprise de médias qui peut façonner l’opinion publique. Facebook peut modifier l’humeur et le comportement politique des gens. En 2014, une étude a montré que voir des choses joyeuses ou déprimantes sur Facebook pouvait influencer l’humeur des utilisateurs. Une autre étude, publiée dans la revue ‘Nature’ en 2012, a déterminé que près de 340?000 personnes sont probablement allées voter lors des élections législatives de 2010 à cause d’un message vu sur Facebook, et qu’elles étaient encore plus susceptibles de le faire si l’appel à agir avait été partagé par un ami. Cette semaine, votre auteur a passé plus de temps que d’habitude sur Facebook, à faire des recherches et à procrastiner, et il a reçu une annonce ciblée pour s’inscrire aux primaires du mois prochain en Californie. Des appels à voter ou faire un don après une catastrophe naturelle ne sont pas rares. M.?Zuckerberg, qui a 32 ans, est idéaliste et parle souvent de rapprocher les gens, d’améliorer l’éducation et de faire évoluer les politiques d’immigration. Dans des allocutions publiques le mois dernier, il a critiqué “les voix timorées qui bâtissent des murs et écartent les personnes qu’elles considèrent différentes”. M.?Zuckerberg a droit à ses opinions, mais ses opinions politiques ont peu de chances d’influencer les informations offertes aux utilisateurs. Comme Google, qui utilise un algorithme pour classer ses résultats, Facebook a affiné les siens pour générer un flux RSS personnalisé en fonction de ce que le réseau sait sur chaque utilisateur, dans le but de les garder intéressés le plus longtemps possible. Si l’on considère que la réglementation américaine stipule que les chaînes de télévision ne peuvent pas faire de différence entre les annonceurs (et doivent offrir le taux le plus bas à tous les candidats qui diffusent des spots publicitaires), aucune règle semblable ne s’applique à Facebook ou à ses pairs. L’opacité de Facebook quant à la manière dont il classe les contenus et leur affichage continuera à faire enrager ceux qui soupçonnent des coups bas. Les politiques peuvent faire pression sur Facebook pour en savoir plus sur la façon dont ses algorithmes fonctionnent, mais l’entreprise n’est pas obligée de leur répondre. Les utilisateurs devront croire – comme ils le font avec Google – que le business model de l’entreprise limite les risques de parti pris. Être impartial est très rentable, et Facebook a tout à gagner en vendant de la publicité à tout le monde. Selon Borrell Associates, qui suit les dépenses de marketing, cette année, les candidats aux élections (y compris les élections locales et celles des États, sans mentionner la présidentielle) vont dépenser plus d’un milliard de dollars en publicité en ligne, 50 fois plus qu’en 2008. Facebook, comme Google, espèrent se tailler la part du lion.